Sicut Umbra : Pas à pas projet de gravure d'un Colt 1862

Le bâti, le barillet et le canon sont gravés .
Je m'attaque donc à l'armature de crosse arrière et celle avant qui fait le pontet. Ces armatures sur les Navy 1851 d'époque que j'ai gravés étaient en laiton qui était argenté . Je m'attendais à ce qu'il en soit de même, et devoir refaire l'argenture par galvanoplastie après avoir gravé ce 1862. La bonne surprise en commençant la gravure a été de découvrir que cette armature est en alliage brillant qui a été patiné en usine pour avoir l'aspect vieil argent


Cet alliage qui me semble être proche du maillechort se grave aussi bien que le laiton; je fais un petit liseret en zigzag sur la bordure  qui encadrera la future dédicace :


Ces bordures sont très classiques sur les armes du 19 , je coupe régulièrement des demi-lunes espacées régulièrement et un trait fin en zigzag viendra souligner les arrondis des demi-lunes  


Le talon de l'armature de crosse aura quelques petit rinceaux. Cette partie était très souvent décorée ...car cela se voyait bien lorsque l'arme était portée dans un holster.

Nous avions parlé en début du post des rayures accidentelles que l'on fait lorsque le burin glisse en dehors du tracé : Vous voyez ici qu'il y en a pas mal , la photo est prise avant de faire les fonds perlés et de "nettoyer" les rayures au perloir et à la toile émeri fine : Je nettoie tout à la fin ce serait trop long de nettoyer les rayures au fur et à mesure  qu'elles se font  


Et voici le même talon de crosse après nettoyage et perlage des fonds...c'est là que je me réjouis que ce soit du maillechort , si cela avait été un placage argent ...il aurait complètement disparu lors du nettoyage  et il aurait fallu le refaire entièrement.


Sur le dos de la crosse j'ai gravé une dédicace de l'inventeur ... il le faisait faire parfois pour les armes qu'il offrait à des dignitaires ou des officiers célèbres ;
Lorsque j'ai commencé à graver il y a bientôt 20 ans j'avais une écriture très moyenne, il a fallu que je fasse des pages et des pages d'écriture script à la plume sergent major . J'ai beaucoup pensé à M. Collin mon maître d'école qui nous écrivait au tableau des belles lettres avec pleins et déliés ; Ceux qui ont 60 ans et plus ont certainement connu l'encre violette dans les encriers en porcelaine encastrés dans le pupitre  

C'est vraiment magnifique JS et encore merci de nous détailler les différentes étapes de ton travail. C'est très intéressant.

comme ça a l'air simple.....

non je plaisante, c'est un boulot difficile
BRAVO !!!!!
KILL !!!!

C'est de l'art !! ( +1 kill )

Merci Lau Cass,Simon Girty et Gringo
@Simon ce n'est pas si difficile , cela demande par contre un investissement en temps assez important avant de pouvoir se faire plaisir en gravant. C'est comme apprendre à jouer du violon ou du piano, il faut faire des gammes , mais même ça c'est plaisant à faire.

@ Gringo :  Cela se rapproche plus de l'artisanat que de l'art    On n'invente rien , tous ces motifs sont connus et reproduits depuis la plus haute antiquité, et les graveurs respectent tous les mêmes règles ( nombre d'or , spirale de Fibonacci), voici un extrait d'un petit recueil qu'ils utilisaient :


D'ailleurs les graveurs américains de cette époque se considéraient plutôt  comme des artisans que comme des artistes : Ils ne signaient quasiment jamais leur travail , Nimschke par exemple qui a gravé des milliers d'armes, n'a signé que quelques pièces exceptionnelles qui avaient une gravure plus luxueuse que celles qu'il gravait habituellement.
J'ai lu un article de R.LL Wilson  ( qui a écrit entre autres : Coltn une legende américaine) il disait que le chef graveur de la manufacture Colt , Gustav Young, bien qu'il soit parmi les mieux payés de la manufacture , ne gagnait que 2 fois le salaire d'un ouvrier maçon de cette époque-là .
D'ailleurs le travail qui devait occuper le plus clair de son temps était la gravure des poinçons et autres roulettes/poinçons qui servaient à marquer industriellement la production de l'usine.
Bien-sur il a aussi gravé quelques revolvers luxueux que Samuel Colt offrait aux personnages importants ...et ce sont ces pièces d'exception qui sont aujourd'hui dans les musées :
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/24921

Heureusement que je n'ai pas proposé une telle gravure à l'ami Eric...j'en aurais bavé un peu sur la crosse



D'après Wilson, Young travaillait aussi dans son atelier personnel après son travail à l'usine : Il mettait alors entre 3 et 5 jours pour graver une arme  
Il était donc un peu plus rapide que moi , mais je suppose qu'il avait en permanence un apprenti dans son atelier qui s'acquittait des tâches rébarbatives pour le maître graveur ( comme creuser les fonds ou faire les fonds perlés)

 Revenons à notre 1862 :
La gravure tire donc à sa fin,  j'ai fini le levier de chargement , et le chien qui étant cémentés assez durs, ont été une petite galère à graver ( cela demande de nombreux affûtages suite aux casses de la pointe )

Ces pièces aux formes biscornues sont difficiles à serrer dans l'étau, je les colle donc à chaud sur une cale en bois  : Cela permet de ménager les fragiles crans et la petite roulette d'appui sur le ressort :


Le décor du chien porte le classique LOUP de YOUNG  , il le gravait souvent sur ses chiens...c'est un petit clin d’œil au maître  


Je termine aussi la sous garde avec une dédicace demandée par son propriétaire qui souhaite léguer l'arme à sa descendance( je pense qu'on ne le retrouvera pas un jour sur naturatruc )

Et enfin je signe ( contrairement aux maîtres graveurs américains   ) sur le canon

Merci d'avoir suivi ces étapes de gravure , c'est résumé en quelques posts mais c'est tout de même un boulot assez prenant qui va me tenir occupé pendant une paire de semaines ( je ne bosse pas tous les jours , et souvent pas plus de 4H00/jour )
A la fin de la gravure je termine une petite réparation que m'avait demandée mon client : un des tourillons de centrage ayant été accidentellement cassé :
Au début de l agravure j'avais arasé la partie cassée et percé dans l'axe un trou de 2mm : Le perçage est assez délicat car ce trou est très près de la surface et il faut impérativement le faire sur la perceuse à colonne:

A la fin de la gravure je termine cette réparation , j'ai usiné sur mon tour un petit tourillon à partir d'une vis en acier de 4mm

Puis le tourillon est brasé à l'argent et mis à la côté avec des limes aiguille , j'adore ces petits travaux horlogerie


Les pièces sont dégraissées et préparées au blanc de Meudon avant de faire les divers bronzages , j'ai utilisé Plum Brown pour le canon et le barillet , et Damas brun et Damas gris pour faire deux tons différents sur les pièces qui étaient jaspées à l'origine : bâti, chien, levier

Le bronzant est appliqué seulement sur les zones gravées , le reste conservant le bronzage d'origine  :

Ensuite ce sont les classiques phases d'Oxydation - Ebullition- et cardage avec la brosse en acier fin montée sur la perceuse à colonne :


Les armatures de crosse et le pontet sont patinés à la Tourmaline car mes ponçages pour nettoyer les gravures avaient effacé la patine d'origine :



Voila, les finitions sont terminées il manque encore à refaire les marbrures du jaspage , et puis il ne reste restera plus qu'à tout remonter, je vous poste les photos du "produit fini" demain

C'est vrai  !! l'artiste   profite  de sa notoriété pour gagner des ronds , l'artisan c'était  pour  "manger " toi c' est pas   ton métier  mais tu es un bon  

Pour les avoir vu , les burins sont des roulettes de dentistes affutées sur plusieurs angle .

gringo a écrit:
Pour les avoir vu , les burins sont des roulettes de dentistes affutées sur plusieurs angle .

Je crois-même qu'on avait parlé de leur affûtage avec des pierres diamantées lorsque tu étais venu me rendre visite.
J'en profite pour vous montrer les outils traditionnels qui étaient employés au 19e S. par les graveurs tels que Young , Nimschke ou Ulrich : Ce sont des outils anciens que j'ai chinés sur ebay ou dans des vides greniers :
Vous avez :
-Un boulet de graveur pour fixer la pièce et pouvoir la faire tourner ou pivoter pour trouver le bon angle
-Un marteau de graveur très léger avec un long manche fin et souple
-Un Burin qui sera tenu dans la main gauche et percuté avec le marteau pour avancer dans la coupe
- Une échoppe qui est un outil affûté comme le burin , mais qui est poussé à la main , il sera donc tenu dans la main droite - pour un droitier  
-Une échoppe pneumatique moderne dont le piston actionné par l'air percute la pointe , cette échoppe est tenue dans la main droite , puisqu’il n'y a plus besoin de taper au marteau


Les graveurs modernes ont dû s'adapter aux aciers modernes qui sont parfois bien plus durs que les aciers employés au 19e . L'acier de leurs burins s'est amélioré lui aussi ...et on trouve facilement des burins en carbure de tungstène qui seront plus durs que les aciers couramment utilisés en armurerie ou en coutellerie . Le revers de la médaille est que ces outils sont fragiles et qu'on casse vite la précieuse pointe si on percute trop fort : Cela oblige ensuite à faire de longues séquences d'affûtage .
J'ai testé il y a quelques années les fraises de dentiste, qu'ils jettent souvent lorsqu'elles sont émoussées , j'ai trouvé qu'elles avaient une bonne dureté et qu'elles gardaient longtemps leur pouvoir de coupe , certainement grâce à l'utilisation d'un alliage Cobalt /Tungstène : Il vaut mieux qu'elles ne s’effritent pas lorsque votre dentiste est en train de visu fraiser une dent  



Les voici en gros plan, leur profil d'affûtage est celui d'un classique burin en V , mais en plus elles ont une minuscule lèvre de coupe qui empêche qu'elles "plongent" trop dans des matériaux tendres ( laiton, argent, or)
Je les monte sur une tige en inox car elles sont trop fines et courtes pour pouvoir les monter directement sur un manche de burin ou sur une échoppe.
L’échoppe pneumatique a des percussions très rapprochées...mais bien plus douces que celles qu'on produit avec un marteau : Cela évite de casser la précieuse pointe , il faut juste penser à ne pas trop la brusquer dans les courbes...sinon c'est casse et affûtage et 5 minutes perdues à chaque fois  

Voilà après les dernières finitions et le remontage/huilage , ce petit 1862 est enfin terminé  :


Merci d'avoir suivi ces épisodes et j'espère que même ceux qui ne sont pas fans de gravures ( tous les goûts sont dans la nature ) auront aimé ce petit voyage dans le monde de ces artisans qui ont orné nos armes  préférées dans leur atelier de New York, Springfield ou Hartford au 19e siècle .






Et si vous voulez voir quelques détails ( et quelques défauts aussi ...qui montrent que c'est bien de l'artisanat fait main ) vous pouvez regarder ici les photos en grande taille :
https://www.gravure-couteaux.info/gravure%20armes%20collection/Colt%201862%20sicut%20umbra%201.jpg

https://www.gravure-couteaux.info/gravure%20armes%20collection/Colt%201862%20sicut%20umbra%202.jpg

J'oubliais , j'ai monté quelques bouts de vidéo + certaines des photos que j'ai postées ici pour résumer la gravure de ce petit Colt : ça devrait permettre à son propriétaire de patienter encore une semaine ou deux, le temps que je le lui livre

Merci Jean pour tout ce reportage..1 kill bien sûr.

Ce 1862 me donne de ces envies.....et tu sais comme je suis faible, incapable de résister....

Quelle merveille!
Tournée de kills

Passionnant reportage merci beaucoup !
+1 kill

Encore un bravo à JS pour ce très beau tuto et la vidéo de qualité.

Kill et rekill .

Norman Morris a écrit:
Ce 1862 me donne de ces envies.....et tu sais comme je suis faible, incapable de résister....

Morris , la chair est faible...et le burin dur, alors pourquoi résister ?


Merci beaucoup Biker13, Brown bear et Clifou pour vos gentils commentaires , ravi que ça vous ait plu

Ton travail est vraiment magnifique JS et merci pour cette belle description du projet pas à pas.

Juste par curiosité, combien de temps as tu passé sur ce projet ?

Merci LauCass  
Le temps pour une gravure assez chargée comme ici et avec presque toutes les pièces gravées tourne autour d'une 30e d'heures . + quelques heures pour le bronzage  et à cause de notre ami Clifou uen heure de plus pour aligner les vis . J'ai lu son article et cela m'a rappelé que je l'avais fait sur les vis de mon vieux Colt il y a quelque temps.Je viens de les aligner sur ce 1862 comme ça pas de jaloux

Je vous avais prévenu que Jean est un grand malade

Un kill de plus, rien que pour ce souci du détail que j'aime tant..