Sicut Umbra : Pas à pas projet de gravure d'un Colt 1862

J'ai commencé la semaine dernière la gravure d'un revolver Colt 1862. Je vais montrer à la suite les différentes étapes du projet qui va me tenir occupé encore une semaine ou deux.

ll s'agit d"un Colt 1862 Police 5 coups cal 36 avec le barillet flûté. C'est une fabrication Colt récente ( 2nd generation) J'ai hésité avant d'accepter de le faire pour 'ami Eric : Le carcasse en acier étant jaspée, il est à craindre que l'acier cémenté en surface ne soit trop dur à graver ...
Mais ayant eu à le faire sur deux colts navy 1851 d'époque , j'avais pu voir  que leur carcasse jaspée, bien que très dure en surface, était "percée" assez facilement par mes burins en carbure de tungstène , et qu'une fois que le burin avait traversé sur 1 ou 2/10e, le métal en dessous se coupait assez bien .
J'ai donc dit OK à l'ami Eric pour son 1862 a carcasse acier jaspée ...et la semaine dernière à occasion d'un passage dans sa région j'ai récupéré la bête


Lorsque j'ai à faire ce genre de gravures je cherche d'abord sur internet quel type de gravure a pu être fait au 19e siècle sur ce genre d'arme . Le cahier de charges d'Eric demandait seulement de ne pas "effacer " ou masquer les divers marquages Colt sur le canon , le barillet et la carcasse. Ce genre de petit revolver semble avoir été assez souvent décoré  au 19e S.car j'ai trouvé des nombreux exemples sur les sites de vente. J'ai alors montré une paire de photos de garvures d'époque à Eric  pour voir si le style lui convenait  :



Und fois le style approuvé , je fais un dessin à l'échelle sir le contour du revolver tracé au crayon sur une feuille A4 :

Le nom du projet est lui aussi approuvé, ce sera" Sicut Umbra " en latin gravé en toutes petites lettres sur la bouche du canon : C'est ce qui est censé être lu par celui qui se trouve à quelques centimètres du dit canon...mais du mauvais côté

Si j'ai retenu une leçon , tu fais un tirage gras a l'échelle   ( feuille A4 transparente)    de ton décor sur l'imprimante , c'est ça ? et tu reportes le décor sur ta pièce et le film de gras (suif et cire d'abeille ) que tu passes au doigt  fixe le profil de ta gravure  de ta feuille A 4 sur le métal ( comme un décalcomanie )  c' est ça ?

Oh la vache, au burin. Chapeau JS !
Je n'ai plus les yeux pour faire cela, même avec des loupes sur les yeux.

J'aime bien les enlacements du 2ème sur le canon.


Je n'aurai pas touché le pontet l'armature, le levier et le chien, pour rester sobre. Mais je vois qu'il a choisi la première idée.
Bon courage... on va suivre ça, avec attention.

@ Gringo :  Ce serait trop long et compliqué de faire des dessins pile à l'échelle car il faudrait développer les surfaces cylindriques ou sphériques . Non, là je dessine directement sur le métal avec une pointe sèche


@Senior Tuco : Merci !
Pour ce qui est de la vue, la mienne est certainement plus usée encore que la tienne  
Comme la plupart des graveurs modernes j'utilise un microscope, cela permet de voir avec précision le bout du burin .Le grossissement utilisé est assez faible X 2 ou X3 car il faut garder un champ de vision assez grand pour faire les courbes .
La difficulté est que la zone en cours de gravure doit rester dans le champ de vision du microscope lorsqu'on fait tourner la pièce à graver . Pour cela il faut utiliser un plateau tournant , le microscope est centré sur l' axe du plateau , comme ça lorsque la zone à graver tourne elle reste centrée .
Voici mon poste de travail, ici avec une arme longue .
L'étau boule de graveur est très utile pour pouvoir incliner la pièce lorsque la surface est arrondie . Dans la cas de ce colt 1862 qui a beaucoup de surfaces arrondies cela m'a été très utile  

Donc c'est bon que sur les surfaces planes .

J'ai commencé dimanche dernier cette gravure , avec bien-sûr démontage complet de l'arme , il serait impossible de la graver montée . Les pièces sont fixées sur l'étau boule qui comme j'expliquais plus haut sert à orienter ensuite la pièce pour que le burin l'attaque avec le bon angle:



Je découpe d'abord un trait de contour à 1mm du bord , là pas besoin de tracer : j'utilise un burin de 2mm de largeur , je me guide en plaçant le bord extérieur du burin sur le bord de la pièce et je suis les contours de la pièce . Le trait est ainsi régulier à 1mm du bord .
Une fois le contour découpé je peux tracer avec une pointe sèche les spirales des futurs rinceaux. ces spirales viendront tangenter le trait de contour, j' utilise ainsi toute la surface disponible .

Je découpe les contours de ces spirales avec un burin en V l'angle du V est de 110°. Ce burin pourrait être frappé avec un marteau mais j'utilise un outil plus moderne : Un burineur pneumatique qui possède un piston actionné par l'air comprimé . Ce piston percute la pointe qui est en  carbure de tungstène  , on n'a plus à s'occuper de frapper au marteau, on peut  donc se concentrer sur le guidage du burin pour suivre les traits guides tracés à la pointe sèche ( un crayon aurait un trait bien trop large et ce ne serait pas assez précis)


Il m'aura fallu environ 4 heures pour tracer et découper toutes les spirales . pour l'instant je fais surtout attention à bien les dessiner de  façon harmonieuse.  Les détails , les feuillages internes viendront ensuite.
La principale difficulté est de s'adapter à toutes ces surfaces qui ne sont pas toujours planes ,  Les concaves étant les plus délicates à graver car le burin peut venir talonner sur les bords extérieurs .

Je suis vraiment impressionné par tout le professionnalisme et le savoir faire, c'est très instructif.

Je me suis toujours posé une question concernant la gravure: Même si bien sûr le graveur n'est pas supposé faire d'erreur je pense que cela doit bien arriver parfois et dans ce cas là comment fait le graveur pour corriger l'erreur ? Un burin qui dérape ou quelque chose comme ça, est-ce rattrapable ?

Bonjour JS
Toujours aussi surprenant et époustouflant ton art

Bien que n’étant pas fan des revolvers gravés je suis sincèrement en admiration devant le travail du graveur ,la patience requise et la précision du geste sans parler du travail de préparation représentent un gros investissement.
Chapeau l’artiste!

Merci LauCass, John Johnson et Lakota pour les  éloges . Cela fait toujours plaisir


LauCass pour ne pas avoir à effacer les rayures ...j'essaie d'éviter d'en faire  Ici j'ai été désagréablement surpris par la dureté de l'acier ...ça n'a rien à voir avec l'acier d'un 1851 d'époque qui était dur sur la couche superficielle , mis "tendre" en dessous , donc facile à graver . Là c'est dur sur même en profondeur , comme si la pièce était trempée à cœur  

Le risque de faire des rayures est donc plus grand puisqu'il faut forcer bien plus  et si la pointe du burin casse  ça sort et le moignon  fait une belle rayure:NonNon02:
 Pour moins forcer je fais donc les sillons principaux EN DEUX PASSES légères . C'est un peu plus long mais devoir effacer des rayures accidentelles serait long également . Faire deux passes au lieu d'une seule présente aussi l'avantage de pouvoir faire des légères corrections de courbure si la première passe n'a pas la courbure correcte.

Malgré tout , même si c'est peu fréquent il arrive qu'il faille effacer  un trait , là il y a deux méthodes :

1) L'abrasion avec des toiles émeri : C'est long , mais cela marche assez bien , souvent les  rayures ne font qu'un ou 2/10e de profondeur , avec un peu de patience on y arrive . L'inconvénient c'est que ça efface souvent aussi la gravure qu'on vient de faire .  Cela crée également des creux dans la surface qui peuvent être visibles et cela oblige à poncer "large"
2°) Le repoussage des bords de la rayure vers le centre à l'aide d'un brunissoir :   En mettant une goutte d'huile , le métal est fortement "repoussé" par la face très dure du brunissoir. IL va fluer , se déplacer et on parvient a refermer le sillon , le trait restant est très fin de l'ordre du 100e et devient peu perceptible à l'oeil nu.
L'inconvénient est que ça marche surtout avec des matériaux tendres comme l'or , argent , acier tendre . Dans le cas de ce Colt ça aurait été peu efficace car l'acier est trop dur .

Voici mes brunissoirs  : deux sont en acier , le 3e en agate et le 4e en hématite qui marche super sur le laiton et sur l'or . Il me sert aussi à faire briller les incrustations en or lorsque j'en fais .

Une fois que les contours sont découpés , je commence les feuillages et petites spirales intérieures . Je procède rinceau par rinceau en allant vers l'intérieur de la spirale .
Les fonds des rinceaux étaient traditionnellement faits avec un perloir sur les garvures d'époque . Là, à cause de la dureté de l'acier , le perloir s'émoussait au bout de 3 ou 4 perles. J'a donc creusé les fonds au burin en faisant ds séries de coupes parallèles , puis une série perpendiculaire à la première . Ainsi après jaspage les fonds apparaîtront sombres et les rinceaux ressortiront




Idem pour l'autre face  :


Pour découper les fonds des rinceaux du bouclier sphérique , j'en bavais trop avce le burin sur ces surfaces arrondies...j'ai donc utilisé une fraise diamantée de dentiste ...Avec un casque stéréo sur la tête

On en reste pantois...

Tu vas encore faire un heureux (le propriétaire) mais également nous (pauvres spectateurs de ta maitrise et de ton art).

Bravo et vivement la suite !

Belles courbes !
ça donne envie de se lancer...

JS

Quelle leçon tu nous donnes là, c'est passionnant et nous sommes admiratifs .

Je vais t'en demander beaucoup mais c'est pour le geste en lui-même; ne pourrais-tu pas demander à une tierce personne de filmer une courte vidéo  en gros plan de tes mains et leur dextérité sur ton ouvrage en plein travail de gravure.

+ 1 dérisoire kill ,celui que nous nous donnons entre nous  bricoleurs que nous sommes  à côté de ton travail d'artiste.

Merci JeanMi , Senior Touco et Clifou.


Clifou , j'ai pris pas mal de photos avec le téléphoe et ma douce moitié a fait plusieurs bouts de vidéo pendant que je gravais ( en maillot de bain après être sorti de la piscine mais rassure-toi vous ne verrez que les mains ) Je monterai tout ça quand j'aurai fini et je mettrai le lien ici.

Merci à toi JS de partager ton savoir faire et merci également pour tes réponses

J'adore transformer les choses et j'apprécie vraiment ce genre de travail qui dépasse mon niveau de compétence, j'apprend.

Après le bâti , je me suis attaqué au barillet de ce 1862 :  les alvéoles sont flûtées . Seule la partie convexe sera gravée , la partie concave serait trop difficile à faire et de plus le résultat serait trop chargé
J'ai donc gravé les contours des rinceaux d'une alvéole et je vais m'en servir pour transférer le même  dessin sur les 4 alvéoles suivantes :

Je tapote la zone avec le doigt enduit d'un mélange de transfert qu'utilisent les graveurs : 50% cire d'abeille 50% suif , ensuite je pose un bout de ruban adhésif sur cette zone et je le presse pour qu'il accroche une partie du mélange de transfert :

Le scotch a pris le dessin , on voit par transparence la cire matte , dans les sillons c'est transparent car il n'y avait pas de cire


Il suffit de poser le ruban au bon endroit sur l'alvéole suivante et de presser, une partie de la cire va aller sur l'acier qui devient mat. Les zones à graver n'ont pas de cire et l'acier est brillant. C'est dur à voir sur la photo, mais sous le microscope c'est très visible  


Une fois les rinceaux gravés j'utilise le même outil qu'ils ont utilisé au 19e S., le PERLOIR. C'est l'inverse d'un pointeau, celui-ci fait des petites demi-sphères de 0,4mm de diamètre ; Sur le barillet l'acier est très tendre , il n'y a aucun traitement thermique. Je peux utiliser le perloir pour les fonds , ce que je n'ai pas pu faire sur le bâti qui était trop dur.


Les graveurs du 19e siècle tapaient le perloir au marteau, moi j'utilise mon burineur pneumatique . Cela permet de placer les parles ace beaucoup de soin , il faut qu'elles soient rangées, qu'elles se touchent...sans se chevaucher. Un travail qui n'est pas difficile mais qui est très long et demande de la concentration .
Dans les ateliers des graveurs d'usine Colt , comme celui de Gustave Young , je suis persuadé que c’est une tâche qu'il faisait faire à ses apprentis.
Là je me suis tapé tout le boulot  


Les fonds perlés sont très fréquents sur les gravures américaines du 19e . aujourd'hui c'est un peu passé de mode les graveurs préférant faire des fonds creusés qui vont rehausser les motifs .
Mais les graveurs américains d'alors aveint développé ce style car cela permettait de gagner du temps et de donner un contraste suffisant autour du motif.

Je fais une petite parenthèse pour vous montrer le carnet de dessins de Lois Daniel NIMSCHKE que les américains exposent au musée MET de New York
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/788358



Ce carnet Nimschke l'a rempli petit à petit  : Chaque fois q'il gravait une nouvelle arme, il prenait une "empreinte" de la gravure : Il passait de l'encre ou du noir de fumée dans les sillosn gravés et il plaçait au dessus une feuille de papier qui pressé contre la gravure absorbait l'encre et prenait un tirage de la gravure d'origine qu'il conservait dans son carnet.


Si jamais il voulait graver une arme du même modèle il pouvait ré-utiliser son dessin original du carnet , il suffisait de le décalquer sur un papier calque et de le reporter sur la nouvelle pièce à graver en utilisant du papier carbone.

Certains de ses tirages tenaient compte de la forme arrondie de l'arme, on voit des retours de papier . C'était assez précis et pile à l'échelle de l'arme .

Lienard , un graveur français du 19e avait édité un recueil de gravures avec des animaux fantastiques comme on peut voir sur cette planche


En parcourant le carnet de Nimschke j'avais pu voir qu'il devait avoir le livre de Lienard car j'avais reconnu un des dragons de Lienard dans les gravures du carnet de Nimschke :

A la fin du 3e jour j'ai donc terminé le bâti et le barillet , soit près de la moitié de la gravure totale

[quote="JS"]

En parcourant le carnet de Nimschke j'avais pu voir qu'il devait avoir le livre de Lienard car j'avais reconnu un des dragons de Lienard dans les gravures du carnet de Nimschke : :Applaudissement

Il me semble bien avoir déja vu cette sorte de dragon quelque part    

Morris,cela fait plaisir de revoir cette Winchester qui reste un beau souvenir de gravure. Il faut que je finisse de monter la vidéo  
La technique de gravure est la même que sur ce Colt 1862 : des larges rinceaux "américains" avec les fonds perlés,  sur le revolver il y a juste un peu moins de surface à remplir




Le 4e jour j'ai gravé le canon,  tout comme le barillet l'acier du canon est très agréable à couper , ici la première spirale est déjà coupée. Le dessin des spirales a été tracé avec une pointe sèche après avoir passé du marqueur bleu sur la canon pour que les traits dessinés soient plus visibles:


Toutes les spirales sont coupées ...


Avant de commencer les feuillages intérieurs, il faut rester concentré pour éviter de sortit du tracé et de faire une rayure qui serait difficile à "effacer" sans abîmer le bronzage d'origine


Les petites rayures à l'intérieur du dessin sont moins graves , puisque je devrai poncer cette zone avant de la bronzer une fois le canon gravé:


Les fonds perlés sont faciles...à condition de bien placer le perloir perpendiculaire à la surface dans les zones arrondies du canon. Le perloir aussi peut glisser et abîmer le bronzage autour


L'autre côté du canon aura le même dessin ...sauf la petite fleur que j'ai dessinnée autour dyu poinçon de contrôle de chez Colt ( une espèce de couronne ou de tour avec des créneaux) la demande était de ne pas "masquer les marquages d'usine

Ce n'est pas le poinçon de contrôle de chez Colt (pas d'épreuve aux US) mais celui de Saint Etienne

ça prend bonne tournure, tout ça... C'est très chouette de voir l'évolution.
Merci JS !

Félicitations Jean pour ce post passionnant, j'ai hâte de découvrir le prochain épisode
Cela vaut bien quelques kills de plus qui sont peu de choses par rapport à ton talent

le Molvanien a écrit:Ce n'est pas le poinçon de contrôle de chez Colt (pas d'épreuve aux US) mais celui de Saint Etienne

J'ai regardé plus en détail sur le net, et tu as raison cela ressemble bien  au poinçon en forme de château en haut à gauche de cette photo . Tu as l’œil, merci !

Je suppose que l'importateur a dû le faire contrôler à St Etienne
On retrouve ce poinçon sur le canon;

Sur le barillet:

Sur le bâti

Et il y a l'adresse du fabricant sur le canon: