11 Novembre :

Belle poitrine, disait-on devant un tel placard de décorations. Mais d'autres ont connu d'autres sorts. Mon grand père est pris ci-dessous en photo en fin 1917 près de la position de batterie où il a passé toute la bataille de Verdun sous les ordres du Général de division Pétain puis ensuite, lorsque Joffre a voulu se débarrasser de son concurrent potentiel trop populaire, sous les ordres de Nivelle. Honnêtement, Nivelle il ne l'a jamais vu. À la différence du général Pétain qui passait dans les tranchées régulièrement et interrogeait directement les soldats. Mon grand père vouait un culte à celui qui avait redressé la situation à Verdun, avait nettement amélioré le sort des "poilus" sous ses ordres. Mon grand-père, assureur de son état, a été mobilisé comme artilleur à Oran en 1915 pour aller se battre en France.
Les artilleurs étaient rarement en premières lignes mais ils ont largement contribué au sort de la guerre. Mon grand père qui savait lire et écrire - il avait le brevet supérieur - n'est pas resté servant de pièce bien longtemps. Il est passé pointeur et a été nommé brigadier (= caporal) rapidement. Comme pointeur sur 75 puis sur 155 court il a fait partie des colonnes qui sont montées à pied en vitesse pour voler au secours de Verdun et ensuite il a passé toute la bataille à commander son peloton de pièce, la pénurie en sous-officiers faisant que les brigadiers pointeurs assuraient souvent le rôle de chef de pièce. Mon grand-père a été honoré par son capitaine qui lui a confié le rôle de porte-fanion de la batterie de tir.


Si on observe sa poitrine, il n'y a aucune décoration. Cela a souvent été le sort des artilleurs ou des gens du train des équipages. Tirant de loin sur les assauts ennemis, les artilleurs avaient peu de chance de s'illustrer au front. Sauf les officiers observateurs qui réglaient les tirs depuis l'avant et se trouvaient auprès des capitaines de l'arme qu'ils appuyaient. Il y avait donc souvent des citations pour ces artilleurs-là. Mais la vraie récompense de mon grand-père a été de rentrer en Algérie à peu près en bon état pour retrouver sa jeune femme quittée pour de trois ans d'enfer après quelques semaines de mariage. Il allait pourvoir enfin fonder sa famille. Ma tante est née en 1920, ma mère en 1923.
Après la guerre, en 1925, il est parti au Maroc et s'est installé à Casablanca.
Je ne l'ai pas connu : Il est mort de chagrin en 1942 trois mois après le décès de sa fille aînée emportée par une septicémie que l'on n'a pu sauver faute de sulfamides. Car après leur débarquement en Afrique du Nord, les Étasuniens ont fermé les marchés et réquisitionné les denrées fraîches ainsi que des médicaments fabriqués sur place à la Pharmacie militaire d"Afrique du Nord, institution coloniale qui fonctionnait au service des militaires mais aussi des civils. Ma mère venait d'épouser mon père. Mais elle a perdu en quelques mois sa sœur aînée et son père qu'elle adorait.
Ma grand-mère aussi avait perdu ses deux repères. Et un peu la raison. Mais ma mère, elle, a dû faire face. Femme du Commandant de la compagnie de mitrailleuses et d'engins du 2^e bataillon du 5^e Régiment de Tirailleurs Marocains, elle a vu son mari partir pour la Campagne d'Italie en 1942. Pendant cette fastueuse période de tourisme en Italie, le Régiment a été reformé trois fois. Mon père a perdu au combat de nombreux subordonnés et ma mère accompagnait la femme du colonel pour annoncer le malheur dans les familles des subordonnés de mon père.
Et puis un jour, la femme du colonel est arrivée en criant depuis la porte du jardinet : "Ce n'est pas grave, il est blessé mais ce n'est pas grave. Il a été opéré et il pourra de nouveau jouer du violon".
Mon père a passé un mois à l'hôpital militaire de Naples et est ensuite venu en permission de convalescence au bout de deux ans de combats acharnés. Il est resté trois semaines à Oujda, garnison de la base arrière du régiment, avant de repartir au front pour le débarquement de Provence. Mais ma mère a toujours dit que le décès de son père lui avait au moins évité d'assister au terrible destin du Maréchal Pétain à qui il vouait une reconnaissance infinie.
Mon père avait eu le temps de bien faire la connaissance de mon grand père. Et il m'en a parlé souvent, en particulier une fois que j'ai eu pris - contre son avis - la décision de moi aussi "faire" Saint-Cyr. Bien qu'ayant vécu de plein fouet la guerre de 39-45, mon père trouvait que les vétérans de la "der des der" avaient plus souffert que lui et ses hommes. Et pourtant, après le débarquement de Naples il a fait toute la remontée vers le Nord en passant par les Abruzzes, il a participé comme commandant d'une compagnie d'appuis de premières lignes à la bataille de Monte Cassino, il a fait partie de mouvement de bulldozer qui a repoussé les Allemands vers le Nord de l’Italie et participé à la prise de Rome. Malheureusement pour lui il n'a pas défilé pour l'entrée dans Rome, il venait d'être blessé la veille et était en route vers Naples dans une ambulance Dodge 6 x 6 qui le secouait sur les routes de montagne.
Quant à moi, en onze années d'affrontements divers dont la Guerre du Golfe de 1990-91, la campagne de Somalie eu printemps 1995, la campagne au Cambodge pour la stabilisation avant les élections organisées par l'ONU, la campagne de l'Otan en Bosnie-Herzégovine en 1955-96, j'ai finalement eu de la chance. Même pas blessé. Et pourtant ça a pas mal "rafalé" à mes oreilles... et j'ai évité parfois de justesse pas mal de PACMIs*. et à Djibouti, en passant au large d'Obock, l'hélicoptère Puma - non armé- qui me transportait a été pris sous le feux de deux canons antiaériens de fabrication soviétique servis par des rebelles Afars. Heureusement nous avions un bon équipage qui a su manœuvrer pour éviter les rafales. Et merci le Soleil.