Revolver D. Moore 1860 à barillet basculant et teat-fire

Bonjour à toutes et à tous,

En regardant l'émission Pawn Stars sur le net, j'ai découvert hier le revolver Moore 1860 à barillet basculant. Comme je n'ai rien trouvé sur ce modèle précis sur le ROW, je vous le présente.

Breveté par Daniel Moore le 18 septembre 1860, le Moore 1860 Single Action Belt Revolver est un 7 coups en calibre .32 rimfire, calibre très populaire inventé et fabriqué par Smith & Wesson. Jusque là, rien d'extraordinaire. Là où le revolver se distingue en revanche de ses concurrents, c'est qu'un bouton situé à droit du chien permet de libérer barillet et canon qui basculent alors légèrement d'un bloc sur la droite pour introduire les cartouches. Une tige amovible, poussée d'un côté par un ressort contre un crochet sous le canon de l'autre côté, permet d'éjecter les douilles vides. La carcasse est en laiton et gravée d'usine. 3 longueurs de canon étaient proposées : 4", 5" et 6". Ce revolver, très en avance sur son temps, est ainsi le tout premier à barillet basculant de l'histoire et maintenant, tous les revolvers utilisent ce principe (à la différence que seul le barillet bascule, le canon restant en place). Quelques photos et une vidéo pour le voir en fonctionnement :


D'après la vidéo, environ 7'800 exemplaires du Moore 1860 furent produits de 1860 à 1862. Avec son barillet percé de part en part, il contrevenait au brevet de Rollin White du 3 avril 1855 qui a expiré en janvier 1870 (ce qui permit l'essor des conversions puis des Colt Open Top 1871, SAA 1873, etc.). Rollin White poursuivit donc Moore en 1862 et gagna le procès. Smith & Wesson, qui avaient acheté la licence exclusive du brevet de White le 17 novembre 1856 pour utiliser le .32 rimfire qu'ils avaient inventé, furent les grands bénéficiaires de cette opération et confisquèrent les 3'376 derniers exemplaires du Moore 1860 qu'ils revendirent pour leur propre compte en y apposant simplement l'inscription "MANFD FOR SMITH & WESSON BY MOORE’S PAT. FIRE ARMS CO" sur le dessus du canon (fabriqué pour Smith & Wesson par la compagnie d'armes à feu Moore). Moore cessa donc de produire le modèle 1860 qui n'a jamais été répliqué depuis (dommage, je le trouvais sympa ce revolver avec son air de Colt à carcasse ouverte).

Pour l'anecdote, White n'avait probablement pas vu l'immense intérêt d'un barillet percé de part en part, qui n'était qu'une revendication parmi de très nombreuses autres de son brevet. C'est probablement pour cela qu'il a accepté un accord avec Smith & Wesson qui lui est plutôt défavorable : White devait s'acquitter seul de tous les frais pour maintenir et protéger son brevet et n'accorder une licence exclusive qu'à Smith & Wesson en échange de $0.25 de royalties versés à chaque revolver produit. Au final, White engagea de nombreux frais et procès pour défendre son brevet (contre Allen & Wheelock, Warner, Lowell, Daniel Moore, Loren W. Pond, J. P. Lower, ...) et a ainsi permis à Smith & Wesson de confisquer à 4 de ces compagnies 18'072 revolvers et de lres revendre sans lui verser de royalties puisque ces revolvers n'avaient pas été produits directement par Smith & Wesson. Au final, les compensations financières directes des compagnies ayant enfreint le brevet de White couvrirent à peine les frais engagés par ce dernier, de sorte que White eut une vie modeste et passa totalement à côté de la fortune que son accord mal négocié avec Smith & Wesson leur rapporta. Un autre "perdant" de l'histoire, Colt, à qui White proposa en premier son brevet et qui n'en vit pas l'intérêt non plus sur le moment...

Mais revenons à la "Moore’s Pat. Fire Arms Co." qui reprit la fabrication de revolvers à cartouches en 1864, mais cette fois introduites par l'avant du barillet pour contourner le brevet de White. Les cartouches étaient alors pourvues d'un "mamelon" à l'arrière (teat-fire cartridge) pour la mise à feu :


La firme changea de nom en 1866 pour "NATIONAL FIREARMS COMPANY". La vidéo ci-dessus raconte que 30'000 revolvers Moore teat-fire furent produits (dont 7'000 avec un éjecteur), que cela représente un succès commercial et que c'est probablement pour faire disparaître ce concurrent devenu gênant que Colt racheta la firme en 1870 et mis fin à la production des revolvers Moore.

Vous pourrez retrouver en partie ces infos et de nombreuses photos des revolvers Moore modèle 1860 et teat-fire sur http://www.littlegun.info/arme%20americaine/artisan%20m/a%20moore%20fr.htm. J'espère que vous aurez pris autant de plaisir à lire cette partie de l'histoire des armes à feu Old West que moi à l'écrire et vous souhaite une excellente journée.

C'est le chauvinisme américain qui fait de Colt un inventeur mythique. Si certes son brevet de 1836 à changé la face du monde des armes de poing, il n'a ensuite fait que capitaliser sur la même formule pendant 25 ans jusqu'au modèle 1860. Son objectif était de décrocher des gros contrats militaires pour faire fortune, pas d'être un innovateur perpétuel.

Le modèle 1860 est une arme fluide et racée, un aboutissement esthétique de son brevet, mais c'est clair qu'au début de la période de rébellion des Etats du Sud, ses armes de poing sont en retard du point de vue technique sur presque tout ce qui se fait ailleurs.

C'est d'ailleurs étonnant que Colt ait pu poser un brevet dont toutes les composantes étaient connues depuis des lustres. En outre, le principe du revolver date au moins du XVIe siècle. Au Musée de l'Armée, aux Invalides à Paris, j'ai eu l'occasion de voir de nombreux mousquets et arquebuses revolvers. Voici un exemple de "mousquet à silex et barillet tournant à 5 tonnerres" des Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles, daté de 1632, et c'est loin d'être le plus vieux (source des photos) :