Lisse ou rayé

Lorsque la balle sort d'un tube rayé, elle tourne autour de son axe longitudinal et réagit comme un gyroscope. Cela signifie qu'elle reste la pointe en avant. Mais comme elle se comporte comme un gyroscope, le fait qu'elle soit attirée vers le sol par l'attraction terrestre fait qu'au lieu d'avoir une trajectoire grosso modo en parabole amortie située dans un plan vertical, elle dérive aussi dans ce plan et a donc une trajectoire en 3D.
Rassurons-nous, suivant le pas de rayures et donc la vitesse de rotation autour de son axe longitudinal, la balle-gyroscope ne montre une dérive perceptible qu'autour de 600 à 700 m. Mais ce n'est pas déterminant pour une arme de guerre parce qu'on reste en général dans le centimètre à centimètre et demi à ces distances. Mais certaines lunettes de tir tiennent compte de la dérivation en fonction de la distance. C'est en particulier le cas pour les lunettes APX de FRF1 ou de FRF2 que j'ai été amené à utiliser. S'il n'y avait pas de vent on n'avait donc pas à s'occuper de la dérivation. En principe, seulement pour les munitions de précision "bonnes de guerre" mais en fait même avec des cartouches de précision déclassées "entraînement".
En fait, on ne donnait dans du plus "bohème" ou du plus "pittoresque" qu'avec les 7,5 Mle 29 ou les 7,62 Otan ordinaires. Quand j'écris "Otan", c'était le nom du modèle parce qu'à l'époque nous fabriquions encore nos cartouches militaires en France. A amorçage Berdan lequel, s'il est "déféquant" à recharger, donne une flamme de mise de feu de qualité remarquable.
Notons que s'il n'y a pas de vent, la trajectoire en trois dimensions est très régulière et les impacts restent donc groupés d'un coup à l'autre. S'il y a du vent et qu'il influe sur la balle, celle-ci, à la différence d'une balle tirée dans un canon lisse, subit une perturbation non seulement en direction mais aussi en hauteur par action sur la trajectoire d'un gyroscope qui a tendance à prendre une forme hélicoïdale déformée en raison de l'effet du vent qui tend à déplacer le plan de tir.
En effet, amusez-vous à faire bouger un gyroscope en train de tourner et vous verrez. Un bon exemple de gyroscope est une roue de vélo qu'on fait tourner en la lançant et dont on tient l'axe par une extrémité. Vous verrez que la roue reste verticale au début et puis que sous l'effet de son poids, elle va commencer à dériver. Essayez, c'est très pédagogique.
Une balle tirée dans un canon lisse ne se conduit pas en gyroscope. Mais si on veut qu'elle ait une trajectoire proche de la courbe Runge-Kutta qui est cette sorte de parabole amortie, alors il faut qu'elle soit rigoureusement sphérique. C'est très difficile à réaliser. Et ensuite, en matière de pénétration dans l'air ce n'est pas la forme idéale.
On peut donc alors utiliser le système qui sert pour les canons de chars modernes et utiliser des projectiles empennés.
Les tubes de char modernes sont légèrement courbés vers le ciel. Au départ du coup, l'étanchéité entre l'obus et le tube est assurée par un segment racleur en nylon téflonné. L'empennage est en duralumin pour être très léger mais résistant. Le fait que le canon soit légèrement courbé vers le haut fait que la force centrifuge plaque l'obus contre la paroi du tube, toujours suivant la même génératrice. Les obus successifs sortent donc du tube toujours de la même manière ce qui fait que la dispersion est minimale.
L'intérêt du tir à canon lisse pour les chars est double. Premièrement, l'obus ne réagit pas en gyroscope ce qui présente deux avantages. D'abord, un canon lisse en gros calibre permet une vitesse initiale beaucoup plus élevée qu'un canon rayé. Ensuite, deuxième intérêt, la trajectoire est courbe dans un plan vertical et non dans un volume en 3D, et comme il n'y a pas de vitesse de rotation, on peut utiliser des charges creuses avec l'efficacité maximale.  
Rappelons que l'ennemi du char est le char. Pour attaquer le blindage d'un char lourd on utilise un obus dit "à charge creuse" c'est-à-dire dont la charge militaire est constitué d'explosif à haut rendement et dont la face avant est creusée en paraboloïde dont le foyer est situé à la surface du blindage au moment de l'impact.
La charge creuse a donc une propagation de son onde de choc en direction du foyer du paraboloïde et concentre toute son énergie à propulser dans le blindage le métal fondu du dard de cuivre lequel est monté comme une sorte de moule au contact de la tranche avant de l'explosif de la charge creuse. Si l'obus tournait sur lui même comme c'était le cas autrefois, la force centrifuge générée par l'effet gyroscope entraînant une vitesse de rotation axiale de plusieurs milliers de tours à la minute disperserait l'énergie explosive et les particules de cuivre fondu, réduisant ainsi l'efficacité de la charge creuse.
Pour pallier cet inconvénient, pour le char AMX à canon rayé de 105 mm, on avait mis au point un obus dit Obus "G" - pour gyroscopique - qui contenait une marmite montée sur pivot contenant la charge creuse. La coque de l'obus tournait, mais la marmite montée sur pivot, elle, était censée de pas tourner. En fait elle tournait un peu quand même - à plusieurs centaines de tours à la minute - et surtout les obus étaient horriblement chers et ce système prenait de la place ce qui réduisait la masse d'explosif de la charge tout en faisant que l'obus était lourd.
C'est pourquoi avec les générations suivantes d'AMX 30 et avec les AMX 10 - canon, on a adopté le canon lisse.
Pour nous tireurs à P.N., on peut toujours réaliser des balles empennées en utilisant du tube l'aluminium lesté avec une tête de plomb, comme je fais pour les balles de calibre 20 de mon LeMat.
Maintenant, en ce qui concerne la stabilité d'un système par rapport à l'autre, elle est équivalente.
Si on tire au canon rayé, une balle bien coulée reste la pointe en avant jusqu'à la limite de portée utile. La portée d'une arme se divise en quatre zones, grosso modo.
1) La portée de combat - ou de chasse - qui correspond à une distance pour laquelle on n'a pas besoin de lever le tir en agissant sur les éléments de visée. Par exemple, pour un fusil de guerre en 7.5 français - MAS 36, MAS 49 ou MAS 49-56, FRF1 - la hausse de combat est de 200 et donc c'est la distance pour laquelle est réglée l'arme lorsque la planche de hausse est réglée sur la distance minimale.
2) La portée pratique est celle que l'on atteint en réglant la hausse et en tirant sans avoir besoin de dispositif optique permettant d'améliorer la vision.
3) La portée utile est celle à laquelle la balle remplit encore l’office pour laquelle elle a été fabriquée. Eh bien en fait c'est aussi celle à laquelle la balle conserve sa stabilité sur trajectoire. Pour ce faire il faut en canon rayé que la vitesse de rotation sur l'axe longitudinal soit encore suffisante pour générer un effet gyroscope, ou en canon rayé faire en sorte que l'empennage ait encore un effet stabilisant.
Cela dépend donc des armes.
4) Enfin la portée dangereuse est la distance maximale à laquelle la balle est encore vulnérant bien qu'elle ne remplisse plus à coup sûr la fonction pour laquelle on l'a fabriquée. Par exemple, pour une 22 LR, 1600m. Dans ce domaine de tir, la balle n'arrive plus forcément la pointe en avant.